« Voire ! dit Mancion, qui oït son plaidier ;
Mais que la nuit des Rois, au souper comenchier,
Puist la feve trouver au gastel despechier »
– chanson de geste du XIVe siècle.
La gourmande et si profane galette des rois d’aujourd’hui est intimement liée à une fête chrétienne majeure, celle de l’Épiphanie, célébrée le 6 janvier, ou en général le premier dimanche du mois de janvier. On la pense païenne à ses origines, une douceur cuisinée pour les fêtes un brin orgiaques des Saturnales dans l’Antiquité Romaine, pour célébrer le retour progressif du soleil dès après le solstice d’hiver, d’où la forme solaire de la galette. La tradition veut que cette fête antique ait institué les rites qui gouvernent encore la distribution au hasard des parts de ce gâteau, choisies par un enfant – symbole de l’innocence – tout comme la fantaisie d’y cacher une fève désignant le Saturnalicius Princeps – le maître des Saturnales ou le « roi d’un jour ».
À la fin du IVe siècle, l’Église christianise ce rituel païen et lui substitue donc l’Épiphanie (« révélation » en grec), grande fête de la « manifestation du Christ au Monde », célébration de la présentation et de l’adoration de Jésus par les rois mages. La galette du roi d’un jour devient la « galette des rois ». On « tire les rois », toujours au sort, mais on réserve des parts pour le pauvre, le voyageur ou le membre absent de la famille.
Pour ce qui est de la galette des rois et de sa recette, au Moyen Âge, le royaume de France se partage encore une fois, et résolument, en deux. Dans les territoires où l’on cuisine à l’huile et on parle oc, en Provence (tout ce qui est en dessous de la Loire), on fabrique un « gâteau des rois », une pâte à brioche moulée en forme de couronne, tressée ou non, décorée de fruits confits censés représenter les joyaux de la couronne. Les noms, les tours de main, les proportions changent selon les régions : patissous du Périgord, coque des rois entre Toulouse et Montauban, Royaume des Cévennes ou encore garfou en Béarn. Cette tradition a surtout été remise au goût du jour par la papauté d’Avignon, cité où le premier tirage des Rois aurait eu lieu au couvent des Dominicains de la ville. En 1343, le pape Clément VI crée même dans ce but la charge « d’écuyer en confiserie » (excouyro en confissarias), charge qui échoit dans un premier temps au confiseur aptésien Auzias Maseta. Progressivement, l’usage veut que l’on partage la « galette des rois » en autant de parts que de convives, plus une. Cette dernière a successivement pris le nom de « part du Bon Dieu » ou « part de la Vierge », puis « part du pauvre », réservée au premier d’entre eux qui se présenterait au logis.
Dans les territoires de langue d’oïl où l’on cuisine au beurre, au Nord de la France donc (en dessus de la Loire), on prépare dès le XVe siècle un dessert de pâte feuilletée fourrée de crème pâtissière mélangée à de la crème d’amandes. Les légendes culinaires attribuent toutes à un certain Frangipani, italien éponyme mais multiple (on en connait cinq, tous susceptibles d’avoir ou bien prêté leur nom ou mieux trouvé la recette), l’invention de ce fourrage délicieux. Gageons que Frangipani est à ce dessert ce que le duc de Sandwich est au sandwich ou ce que Mahon (capitale de Minorque) est à la mayonnaise : des jeux de mots gourmands passés à la postérité. Ce qui est (à peu près) certain c’est que la frangipane, ce parfum d’amandes si caractéristique, servit tout d’abord à masquer l’odeur naturelle des peaux servant à faire les gants et les souliers. À vous d’imaginer comment le parfum du tanneur inspira le pâtissier…
Un grand merci pour sa relecture à mon cuisinier préféré, Nicolas Gouzy.