[Aviation] Charles Godefroy et l’Arc de Triomphe

Le 14 juillet 1919 est organisé le défilé de la victoire sur les Champs-Élysées. Un événement qui clôture la Grande Guerre, rend hommage aux morts et glorifient les vainqueurs. Les soldats français défilent, ainsi que des régiments alliés. Toutes les armes sont représentées. Mais à cette occasion, le commandement militaire décide que les aviateurs défileront à pied, comme l’infanterie. Une provocation pour les « héros de l’air » !

Réunis au Fouquet’s quelques jours auparavant, un groupe d’aviateurs vétérans de la guerre décident de balayer l’affront et de redonner sa gloire et sa juste place aux ailes françaises en choisissant l’un d’entre eux pour passer sous l’Arc de Triomphe pendant ce défilé de la Victoire. Passer sous l’arc de Triomphe est un symbole : les régiments vont passer sous sa voûte lors du défilé – la tombe du soldat inconnu n’y sera installée qu’en 1921. C’est également un exploit : des pilotes comme Georges Guynemer ou Roland Garros avaient auparavant refuser de le faire. On est dans la tradition des aviateurs rebelles, mais aussi dans la volonté de ces derniers de montrer qu’ils sont une arme à part entière – bien qu’encore intégrée dans l’infanterie en 1919.

On choisit un pilote pour cette action : un as, Jean Navarre (12 victoires aériennes), qui a une réputation. Il accepte… mais il se tue le 10 juillet 1919 lors d’un vol d’entraînement à Villacoublay. Le choix se porte alors sur Charles Godefroy (1888-1958), jeune pilote inconnu, mais expérimenté de 31 ans, qui a plus de 500 heures de vol à son actif et quelque 4.500 atterrissages. Mobilisé le 2 août 1914, le jeune Charles avait intégré le 132e RI. Titulaire de la Croix de guerre et de deux citations, il rejoint l’aviation le 1er septembre 1917. Il sera breveté le 17 juin 1918 – brevet n°9934 délivré par l’AeCF. Par sa formation sur chasseur Nieuport et ses grandes compétences de pilote, il devient instructeur à Miramas (Bouches-du-Rhône) et termine la guerre comme adjudant-chef. 

La mort brutale de Jean Navarre, trop proche du 14 juillet, annihile le projet lors du défilé de la Victoire. On reporte donc ce vol et une nouvelle date est fixée au jeudi 7 août 1919. Les préparatifs se font dans le plus grand secret. On étudie les vents sous l’arc de Triomphe et on détermine le parcours. Charles Godefroy s’entraîne à Miramas, sous le pont du petit Rhône. La presse – afin qu’elle couvre l’événement – est discrètement informée par le biais de Jacques Mortane, spécialisé dans le journalisme d’aviation et confident de plusieurs as.

Au petit matin du 7 août à 7h20, dans son uniforme militaire qui lui permet de pénétrer sur l’aérodrome militaire de Villacoublay, Charles Godefroy décolle donc avec un biplan Nieuport XI Bébé (B pour Biplan et B pour Chasseur d’après la nomenclature du ministère de la Guerre) préparé secrètement par un mécanicien complice, Lagogué. Il survole Neuilly, arrive par la porte Maillot, et commence son approche par l’avenue de la Grande-Armée, contourne le monument, revient vers la porte Maillot pour se mettre dans l’axe à 15 mètres de hauteur, puis passe sous la voute de l’Arc – haute de 29,19 m et large de 14,62 m – à 140 km/h, évite un tramway et poursuite sa route vers la place de la Concorde, puis revient à Villacoublay. Le vol a duré une demi-heure.

La presse, présente, photographie et filme l’événement. Plusieurs articles sont publiés, rendant hommage ou pas à cet exploit, le premier dans l’histoire de l’aviation. Charles Godefroy raconte son exploit dans les colonnes du journal L’intransigeant dès le jour même. Le préfet de police de Paris interdit dans un premier temps la projection du film, les autorités militaires ne sanctionnent pas le pilote. Mais ce sera son dernier vol – d’autant plus qu’il est démobilisé depuis la fin du mois de juillet 1919. Charles Godefroy se consacrera le restant de sa vie à son commerce de vins à Aubervilliers, et s’installera avec sa femme et sa fille à Soisy-sous-Montmorency. Son vol est oublié jusqu’à sa mort en 1958, date à laquelle l’Histoire exhumera cet exploit aérien d’un autre temps… dont on fête le centenaire cette année.

« L’histoire n’est pas la morale. L’historien n’a pas pour rôle d’exalter ou de condamner. Il explique » [manifeste Liberté pour l’histoire, 2005]

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